Nos démons et merveilles.

La récolte des noms des fleurs sauvages nous renseigne sur notre propre histoire, notre histoire  "naturelle".  Ne pouvant pas jouer à Pline l'ancien qui glanait auprès des  gens de la campagne, les informations sur les plantes, il me restait à les découvrir par mes propres moyens. Nos ancêtres, ceux qui détenaient le pouvoir de sentir la puissance des arbres, de la nature, des forêts, ceux -là sont devenus chamans, druides, sorcières avant d'être chirurgiens, médecins, pharmaciens, anthropologues ou  ethnobiologistes.  Les fleurs sauvages portent encore l 'empreinte de tous ces "êtres - là", des premiers Homo erectus  aux  bergers et bergères, gardiens de troupeaux - enfants, en somme de paysans , conteurs  d'histoires au coin du feu - détenteurs de l'immense  pouvoir de guérir ou pas. De cette héritage fondé sur les vertus médicinales, il reste quelques bribes de poésie, de délicatesse et d'humour bien "de chez nous" ! 

Au-delà des vertus qui soignent et qui nourrissent, les plantes sauvages  nous en-chantent littéralement. " Les noms des fleurs dans l'imaginaire populaire "  interrogent en premier lieu  nos émotions esthétiques.  La photographie en est dans ce cas un excellent medium contemporain. Mais à la loupe que voyons -nous ?  Une fleur, ses caractéristiques, formes, couleurs, sa texture,  sa pilosité, son emplacement proche d'un ruisseau, tout cela nous  apportent une connaissance, je dirais basique.    Mais lorsque l'on se penche sur son nom,  alors là, on est pas loin de l'extase !

Lorsqu'une fleur sauvage porte le nom d'un soulier il s'agit d'un sabot, lorsque son nom évoque le diable, il s'agit de son lait,  lorsqu'il évoque une sainte,  c'est pour sa couleur ( immaculée) ... .Quand mon petit cousin joue aux pétards c'est avec une brindille. Quand les racines sont déterrées elles ont le goût de châtaignes. Pour connaître  l'avenir des récoltes,  pour avoir du lait et du beurre l'hiver, on fait parler le  Bouton d'Or et c'est son reflet qui apporte la réponse. Quand la feuille dentelée donnée en pâture,  dessine un sourcil c'est celui de  la déesse de la beauté. 

Nos démons et merveilles  sont bien là dans un vocabulaire riche de sensations visuelles où une petite corne pour l'un se transforme en pantoufle de cérémonie pour l'autre. Ce qui prime alors  c'est l'émotion ressentie en regardant ce petit trésor - joyau de la nature, ange  quand il soigne, démon, quand il est toxique. Ravissant et inquiétant  en même temps. 

Mais encore, les feuilles râpeuses de  la consoude, engrais pour la terre, rappellent la langue des vaches tandis que ses poils, les oreilles d'âne. 

Et queue de scorpion alors,   avez vous déjà vu des scorpions en France ? Dans les déserts  d'Orient, oui, n'est ce pas ?  Là où l'Egypte pharaonique écrivait déjà les propriétés de plantes magiques et médicinales sur de beaux parchemins aux dessins encrés de la maléfique  et sublime  Mandragore. Les becs de grues ou de cigogne annoncent le retour du printemps.   Les hirondelles nichées sous les toits, ouvrent les yeux de leurs oisillons avec le suc   de la chélidoine, la grande éclaire et herbe du diable ... .

Mais revenons à nos moutons ! A la petite prairie du Bois de fontaine qui réveille en nous tant de souvenirs !

Depuis la nuit des temps, les paysans, instruits ou pas, ceux qui ont construit  le "paysage" (comme dit Michel Serres),  ont su guérir,  nourrir, divertir, égayer, alléger le quotidien  ainsi que  fleurir leurs banquets, leurs tombes  ou leurs autels . Les  noms  populaires donnés aux fleurs sauvages nous en livrent encore une leurs secrets. Elles faisaient partie d'un univers  où l'évasion venait compenser la rudesse du quotidien. Où le merveilleux enrichissait l'imaginaire de l'amoureux transi, du poète mélancolique et de l'artiste éblouie, émue retrouvant son  âme d'enfant. 

Voilà pourquoi leurs noms sont populaires, voilà pourquoi ils  résonnent à mes oreilles  comme autant de petits cailloux (ceux du  Petit poucet) pour me montrer le chemin du retour. La grand mère que je suis, n'a plus peur du loup. Elle attends le bouquet  du  Petit Chaperon Rouge  et la Belle au Bois dormant se réveille enfin de son long sommeil,   souriant aux chants des oiseaux, aux vols des  papillons  et des libellules  délivrée par un charmant baiser d'amour.

Souriez vous êtes photographiez !

 Am Baudrit